Proposition de lecture des œuvres de ré-emploi, détournement, échantillonnage ou re-montage pour une analyse des images animées et de leur flux

 

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Dans Eût-elle été criminelle… (2006) Jean-Gabriel Périot opère par un savant montage dynamique une réflexion esthétique menée sur les manières de représenter et d'appréhender le champ de la mémoire collective. La vidéo débute par un montage rapide semblant vouloir condenser en quelques minutes tout le champ de la mémoire
audiovisuelle de la Seconde Guerre. L'auteur rappelle ainsi ces images qui constituent notre mémoire collective, les fait défiler à un rythme tel qu'un sentiment de malaise empreint le spectateur. Arrivent la Libération, la foule en liesse, la Marseillaise. Des gros plans de visages heureux, fêtant la victoire. On le sent, ces plans sont des recadrages. Puis, petit à petit, les images se succèdent, l'espace se recompose et les éléments isolés de joie apparaissent comme des arrière-plans de scènes d'humiliations publiques de femmes tondues en 1944.

C'est un mouvement inverse à celui de Farocki auquel procède Jean-Gabriel Périot dans son re-montage. L'horreur, l'auteur nous invite à la voir dans ses contradictions à l’œuvre au cœur de chaque image, contradictions personnifiées par l'humanité incarnée dans les visages en gros plan. Dans un entretien, Jean-Gabriel Périot explique : « […] la charge émotionnelle est tellement forte à la vue de ces femmes que l’on n'a pas le temps de comprendre ce qu’il se passe autour. J’ai dû créer un processus où je fragmente l’image et montre d’abord les deux fragments isolés : le bonheur et ensuite les femmes rasées. A la fin je reconstitue l’image et l’on peut donc la lire dans sa globalité. Ainsi, on ne pointe pas seulement les femmes rasées, mais on soulève les problèmes de l’humiliation publique et de l’humiliation créatrice de liens sociaux, de la violence comme terreau de la sociabilité. »

L'espace est le lieu de la représentation, mais aussi de la multiplicité des points de vue. Si le cadrage est le résultat d'un point de vue, il en existe donc une multitude. C'est aussi dans cet espace que les artistes ont à cœur de questionner l'acte de représentation, qu'il soit issu d'un acte de narration ou d'une trace mémorielle ou factuelle, donc fortement ancrée dans un contexte socio-historique. Le temps est fondamentalement à l’œuvre dans ces procédés de remontage, l'antériorité des matériaux invite à penser la mémoire visuelle et, d'une certaine manière, à se l'approprier au sein de sa propre culture. Le temps ‒ de l'image filmée, de l'image montrée, de l'image manipulée et détournée ‒ est donc fondamentalement un terrain d'analyse auquel nous devrons associer le temps du récit et le temps de l'histoire.
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Vincent Vicario
Mémoire de master 2, 2012